Le nouveau rapport, “Les travailleurs Palestiniens : Covid-19, travail et syndicats en Cisjordanie et dans la bande de Gaza”, met en lumière les nombreuses façons dont les travailleurs palestiniens ont été affectés par la pandémie, tout en étant soumis à un traitement inhumain face à l’apartheid israélien. En utilisant une perspective centrée sur le travail, cette recherche vise à saisir les impacts de la pandémie pour ces travailleurs et leurs familles, et à cartographier les réponses variées des militants syndicaux et des syndicats.

Les effets profonds du COVID-19 sur les conditions de travail et les travailleurs ont frappé le monde de manière inégale. L’impact de la pandémie sur la Palestine est particulièrement important en raison de son économie captive, fragmentée et sous-développée, résultant de décennies d’occupation.

La vie en Palestine a été réglementée par de sévères restrictions de mouvement, des restrictions sur les produits entrant dans les territoires palestiniens occupés, un taux de chômage élevé (45% à Gaza en 2019), et des quantités importantes d’emplois informels. Le secteur de la construction ” est notoirement exploiteur et dangereux pour les travailleurs palestiniens, avec une réglementation ou une surveillance minimale “. Une enquête menée en 2017 par le ministère du Travail a révélé que 70 % des échafaudages utilisés sur les chantiers de construction israéliens ne répondent pas aux normes de sécurité requises. La négligence des entrepreneurs et du gouvernement israélien est directement liée aux blessures et aux décès parmi les travailleurs palestiniens. En 2019, sur 40 décès au travail dans le secteur de la construction israélien, 33 étaient palestiniens. Cela révèle la division du travail au sein de ce secteur ; alors que les Palestiniens sont employés dans les emplois de main-d’œuvre les plus dangereux, les citoyens juifs israéliens occupent des postes de direction, d’ingénierie et de planification.

Le rapport explique comment la pandémie a aggravé les conditions de travail en Palestine, soumise à l’occupation israélienne et au régime d’apartheid. Il affirme que la Palestine a évolué dans le contexte d’une économie captive et sous-développée qui a enduré des décennies d’occupation militaire israélienne et de colonialisme de peuplement. En adoptant une perspective centrée sur la main-d’œuvre locale, il change le récit fondé sur l’idée de “deux côtés différents du conflit” pour se concentrer sur les inégalités structurelles de classe enracinées dans la société israélienne.

Avec la signature des accords d’Oslo, et le piège de la souveraineté qu’ils ont induit, le contrôle de la Cisjordanie est resté – souvent indirectement – sous l’emprise d’Israël. La répartition économique suit cette fragmentation géographique et politique, les principaux secteurs restant aux mains d’Israël. Cette redistribution minimale du pouvoir signifie que la majeure partie de l’économie palestinienne reste essentiellement captive. Le protocole de Paris de 1994, ou protocole sur les relations économiques entre Israël et l’OLP, a entraîné des retombées déséquilibrées, rendant impossible pour la Palestine de développer des relations commerciales significatives avec un pays tiers. En outre, ce protocole a donné à Israël le dernier mot sur ce que la Palestine était autorisée à importer ou à exporter. Le contrôle israélien sur les importations de produits pharmaceutiques en est un exemple frappant : il coupe l’économie palestinienne des importations moins chères en provenance d’autres pays.

L’économie palestinienne est devenue si intrinsèquement liée à l’économie israélienne qu’il est difficile de la qualifier d’économie individuelle. La main-d’œuvre palestinienne a été intégrée à l’économie israélienne en tant que source de main-d’œuvre bon marché; les Palestiniens constituant la majorité du secteur de la construction. Ainsi, les Palestiniens couvrent désormais le manque de main-d’œuvre créé par le service militaire obligatoire en Israël. Lorsque nous entendons dire que l’économie israélienne se porte bien, nous devons nous rappeler que cela peut s’expliquer en partie par la croissance de l'”économie captive” de la Palestine.

En outre, la majeure partie de l’aide au développement accordée à la Palestine est recyclée dans l’économie israélienne en raison de la dépendance des Palestiniens vis-à-vis des biens et services israéliens. Les projets de reconstruction et de redressement donnent la priorité aux infrastructures de sécurité plutôt qu’aux services humains. Cela crée une boucle de rétroaction positive dans laquelle les Palestiniens fournissent une source de main-d’œuvre bon marché et non protégée pour le développement israélien, sans donner aux travailleurs le revenu, le logement, l’éducation ou les soins de santé nécessaires pour trouver des emplois plus stables, sous contrat officiel, au niveau microéconomique, ou pour attirer davantage d’opportunités en Palestine au niveau macroéconomique.

Cela signifie qu’en 2020, le secteur du travail palestinien était déjà fragile, avec une faiblesse structurellement ancrée qui l’empêchait d’être résilient face à des crises multiples. Les mesures prises en réponse à la pandémie ont eu un effet dévastateur sur les conditions de travail des Palestiniens : le chômage a augmenté de manière significative ; les restrictions de mouvement ont rendu l’accès à l’aide, au travail et aux services inexistants ; les fournitures sanitaires et pharmaceutiques ont été fortement limitées par Israël ; et le secteur de l’éducation a subi de graves impacts.

En comprenant les conditions existantes de travail précaire et les restrictions sur les importations avant la COVID-19, nous pouvons mieux comprendre pourquoi et comment les impacts de la COVID-19 ont été si graves en Palestine. En 2020, 1 travailleur palestinien sur 8 était employé dans les colonies israéliennes. Pendant les nombreux confinements, ils ont souvent été vilipendés comme agents de maladies, et les travailleurs de l’assainissement ont continué leur travail sans contrat, sans salaire fiable, ou sans protections de base. En outre, 61 % des principaux soutiens économiques en Cisjordanie et 31 % dans la bande de Gaza n’ont pas reçu de salaire pendant le confinement du printemps 2020. En examinant Covid-19 comme un amplificateur de vulnérabilités préexistantes, ce rapport place la crise actuelle dans un contexte historique et structurel. L’accent mis les conditions précaires des travailleurs palestiniens a permis d’éclairer la complexité de la crise plutôt que de la mettre de côté en la déclarant “trop difficile”.

Malgré des conditions de vie inhumaines exacerbées par les effets inégaux de la pandémie, les Palestiniens continuent à défendre leurs droits et à s’organiser. L’organisation du travail et la syndicalisation ont augmenté, et l’on constate une augmentation du syndicalisme de mouvement social parmi les travailleurs et les mouvements de changement social à la suite de la pandémie.

Le rapport utilise le prisme du travail pour explorer les dynamiques de pouvoir sociétales et s’avère utile même lorsqu’il est appliqué au-delà de la Palestine. Ce travail montre clairement qu’il est impératif de se concentrer sur les réalités vécues et de prendre en compte la dynamique du pouvoir socio-économique pour permettre la compréhension et la mise en œuvre du changement.

En conclusion, la fragmentation géographique et politique du peuple palestinien a conduit à une économie palestinienne soumise à l’économie israélienne. Cette “économie captive” génère de mauvaises conditions de travail et une très faible marge de manœuvre et d’autosuffisance. Cette situation est encore renforcée par l’expansion coloniale israélienne et la destruction d’infrastructures vitales, comme les hôpitaux ou les puits d’eau.

Cela crée un cercle vicieux dans lequel une grande partie de l’aide qui va à l’Autorité palestinienne est recyclée dans l’économie israélienne, car la Palestine achète ses produits en Israël. Cette vulnérabilité a été exacerbée par la pandémie de COVID 19, qui a entraîné une nouvelle “dégradation” des conditions de travail et de la viabilité socio-économique des Palestiniens. Néanmoins, les travailleurs Palestiniens ne sont pas restés passifs et on réagit en créant et formant des syndicats et des mouvements sociaux, souvent avec de forts liens avec les mouvements féministes palestiniens.

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